lunes, 1 de agosto de 2016


Pour comprendre la nature "féminine" de l'ELN 




CARLOS MEDINA GALLEGO
Enseignant-Chercheur
Université Nationale de Colombie
Centre de Recherche et de Suivi du Processus de Paix – CPSPP


Récemment, au cours d’une de ces manifestations qui ont lieu tous les mardi sur la place de Bolívar à Bogotá pour réclamer la liberté de Carlos Arturo Velandia Jagua, emprisonné arbitrairement par le ministère public sur la base de fausses accusations dans un contexte qui ne peut légitimer aucune explication cohérente, j’ai retrouvé une amie très chère : Une femme d’une intelligence remarquable que beaucoup d’hommes ont du mal à accepter, ouvrière infatigable de la cause paysanne dans sa région de Santander. Comme nous tous, elle est préoccupée par la situation de blocage dans laquelle se trouve le processus de paix avec l’ELN, thème que nous avons abordé de manière impromptue et sur lequel, la beauté, la poésie et l’intelligence de son regard, ont éclairé ma réflexion.

Après la manif, sur le trajet vers l’aéroport, nous avons longuement parlé de la nécessité de dépasser toutes les difficultés pour faire place aux conversations publiques avant que les deux parties n’abandonnent ce qui a été construit jusqu’à maintenant, et avant qu’ils n’arrivent à la regrettable conclusion que ce processus n’a pas été suffisamment « cuisiné » par la guerre, qu’il n’est donc ni urgent ni nécessaire et qu’il faut le faire bouillir à nouveau, sans savoir combien de sacrifices inutiles seront encore nécessaires. L’ELN a bien du courage si elle croit qu’elle peut défendre la prise d’otage face à la communauté nationale et internationale, qu’elle peut se positionner au-delà de la clameur nationale pour la paix et de toute la solidarité des communautés et des mouvements sociaux en faveur de ce processus, et surtout, si elle pense qu’elle peut gaspiller ce qui a été atteint avec un agenda des conversations qui correspond autant à ses intérêts. Le gouvernement, pour sa part, a lui aussi bien du courage de ne pas avoir traité cette thématique dans la phase exploratoire et de mettre cette barrière avant de s’asseoir à la table publique.

Le temps nous a manqué, à mon amie et moi : Je devais rester et elle devait voyager. Les vols n’attendent pas que nous ayons résolu notre préoccupation pour le pays, de la même façon que les moments politiques n’attendent pas que les acteurs résolvent leurs différences par de l’entêtement.  Je lui ai demandé d’écrire et de m’envoyer quelques notes sur la conversation si aimable et impromptue que nous avions eue pendant que nous exigions à plein poumons la liberté de Carlos. Trois jours plus tard, j’ai reçu la lettre que je vous partage ici. Je suis certain que cette manière de regarder les choses est non seulement innovante, mais également utile pour la compréhension.

« Cher Carlos. Je t’écris ces lignes parce que je suis très préoccupée par les difficultés que rencontre la table des dialogues avec l’ELN. J’ai observé depuis le début, à travers une autre perspective, les relations et les comportements de l’une et l’autre guérilla, et le profil du gouvernement dans ce processus.

Notre histoire culturelle est basée sur une relation de comportements liés au système patriarcal, qui rendent très visibles les différentes formes d’agir masculines et féminines. Dans la formation du lien entre le peuple et le gouvernement, il existe également un traitement de l’autorité qui ressemble beaucoup à ce qui existe entre les femmes et les hommes, où le gouvernement porte l’image masculine et le peuple, l’essence féminine.

Sans minimiser l’une ou l’autre organisation armée, les deux ont des formations différentes, des éthiques de vie différentes, l’une n’étant pas meilleure que l’autre, elles sont simplement différentes. Ce que je t’écris ici, bien que je trouve cela assez drôle, est pourtant en train de se passer aux tables de négociation du Gouvernement avec les FARC-EP et avec l’ELN.

Les FARC-EP ont, dans leur structure comme dans leur façon d’agir, une grande similitude avec le comportement historique et culturel colombien masculin. Dans leur attitude, ils sont plus forts, plus dominants à partir de leur forme d’organisation et donc, ils prennent plus de risques et ont un degré de pragmatisme plus élevé. Ils assument les changements avec une grande facilité à partir du moment où ces changements n’amenuisent par leur image d’autorité. Une fois que les choses sont définies, ils l’assument sans aucune difficulté. Et comme n’importe quelle bagarre entre hommes, ça se résout rapidement, on se donne la main et chacun continue sa vie.

Si nous observons avec attention, il est possible de reconnaitre que la négociation n’a pas dissout l’image d’autorité des FARC-EP. Elle reste intacte et si elle a été quelque peu modifiée, c’est en positif, ce qui leur permet de continuer le processus. La négociation entre le Gouvernement et les FARC-EP est clairement une lutte entre « machos ». Et c’est là qu’il y a quelque chose dans la négociation entre le Gouvernement et l’ELN qui me préoccupe, avec ce qui pourrait finalement arriver.

L’ELN – Armée de Libération Nationale – est une construction plus attentive au détail, avec une plus grande préoccupation pour la formation de ceux qui l’entourent. Plus prudents, leur pratique de croissance et de vie se perçoit avec une plus grande spiritualité, à partir de la logique du sacrifice et du travail silencieux, dans le peuple qui est leur demeure. L’ELN a une structure d’organisation plus dialogique, plus attentive à l’écoute de chacun, et donc plus lente et moins autoritaire avec ses membres.

Il est très clair qu’à l’ELN, ce qui les blesse le plus, ce n’est pas ce qui peut leur arriver à eux-mêmes, mais plutôt ce qui NE se passe PAS avec le peuple, qui est leur famille, dans un processus de négociation. On pourrait dire que l’ELN a un esprit et une pratique féminine au moment d’affronter un conflit, entre femme et homme, entre ELN et GOUVERNEMENT, sachant que le gouvernement est l’image masculine.

Comment agit une femme dans une relation avec un autre (homme) qui a toujours été d’une violence permanente ? Ce qui importe à la femme, ce n’est pas sa propre image, ni sa propre sécurité ou existence… C’est la dernière de ses préoccupations ! Ce qui lui importe, c’est ce qui peut arriver à ses enfants, ce que dira sa famille, l’opinion historique accumulée dans sa mémoire de femme – c’est-à-dire le sacrifice et le « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». Ce sont là des incorporations mentales, spirituelles, psychologiques et culturelles qui l’empêchent de prendre une décision rapide et surtout, qui l’empêchent de voir qu’une autre vie est possible. C’est pourquoi une femme peut laisser durer très longtemps une situation de violence contre elle-même, et que dans de nombreux cas, cela va jusqu’à la mort.

Pour la femme, la séparation, « la table rase et le nouveau départ » sont une option peu fréquente qu’elle assume rapidement. Il lui en coûte d’en arriver là et de le vivre de manière pleine, mais quand elle l’assume, il n’y a pas de retour en arrière.

Ce que je perçois avec l’ELN, c’est que la décision totale n’est pas mûre dans son cœur qui est la base de sa raison révolutionnaire. Dans les changements, elle ne perçoit pas la protection de sa famille – le peuple.  Par ailleurs, je pense qu’elle ne considère pas encore qu’en dehors de sa relation d’aujourd’hui, elle peut continuer à accomplir son rôle, qui est celui de la protection. Elle ne se sent peut-être pas préparée car le débat et la vie en public n’ont pas été sa pratique historique, je crois également que le profond degré de corruption qui plane sur la scène publique engendre en elle une grande méfiance quant à la possibilité de réussir des transformations réelles. Je pense que l’ELN ne se sent pas en sécurité pour prendre la décision d’une séparation réussie.

Et je crois qu’il faut aider l’ELN, comme une femme, à se regarder elle-même. Il faut lui montrer les différents scénarios possibles, que ce sera différent, qu’elle devra assumer de nouveaux rôles et qu’elle pourra faire une autre vie, meilleure pour elle et ses enfants. Il faut lui faire comprendre qu’en maintenant ce cercle de violence elle n’aboutira pas au bonheur de ceux pour qui elle se sacrifie tant ; et que l’autre option, celle d’attendre que son fils mâle (le peuple) grandisse et la défende de son père violent (le gouvernement), prendra beaucoup de temps et qu’au pire, il se pourrait que son fils préfère s’en aller pour ne pas continuer à voir la violence.

Je crois que l’ELN doit plus se regarder elle-même et découvrir toutes les possibilités qu’elle a de mener une vie publique avec des résultats qui favorisent ses objectifs de vie. En outre, le gouvernement-mâle continuera à être le même, l’option de sortir de la vie armée aujourd’hui peut produire de meilleures opportunités pour ses rêves, parce que le monde extérieur a changé et qu’elle peut tisser des liens avec d’autres. De toute façon, malgré son sacrifice, le gouvernement ne changera pas.

Tout ce que je dis, ce n’est pas pour offenser quiconque, ni aucune organisation et évidemment, encore moins les femmes. Je l’écris parce que je pense que le Gouvernement se trompe dans la relation établie pour la négociation avec l’ELN. Il commence par considérer que l’ELN est intéressée par des prébendes, des postes avantageux, les sanctions. Le gouvernement parle à partir de lui-même et propose ce qui l’intéresse lui, sans regarder ce qui intéresse l’ELN. Or, je crois que l’ELN va continuer à insister sur ce qui l’intéresse le plus, c’est-à-dire : Comment résoudre les situations de pauvreté dans lesquelles vit le peuple ? Sinon, la séparation de cette vie de couple – la vie armée – n’aura aucun sens.

Le mariage est une façon d’atteindre le bonheur, pas de vivre dans la tristesse, je crois là que l’ELN perçoit qu’elle a obtenu de bonnes choses en faveur de son peuple et il faudra réfléchir là-dessus. Tout cela n’est pas simple. Définitivement. Je me connais et reconnais dans mon genre, que nous ne sommes pas faciles à comprendre à partir de la logique masculine, parce nous sommes évaluées à partir de la pratique et des modes d’être masculins, non pas à partir du cœur qui est le lieu de la raison.

A continuer comme ça, cette négociation n’aboutira pas à la solution que beaucoup d’entre nous attendons. Si c’est vraiment important, il faut recommencer, mais ce n’est pas ce que l’on entrevoit de la part du gouvernement, qui se comporte comme un mâle irrespectueux, un goujat qui croit avoir obtenu tout ce dont il a besoin pour continuer à maintenir l’autorité chez lui ».

Voilà la note de mon amie. Personnellement, elle m’a beaucoup touché et j’espère que vous aussi. Je ne sais pas ce qu’en pensera l’ELN, pourvu qu’elle la lise intelligemment et que cela l’aide à se trouver elle-même dans cette route urgente de séparation du couple qu’elle maintient avec la Guerre-Etat, et qu’elle décide de construire une nouvelle relation à partir de son discours libérateur du pouvoir populaire, à côté du peuple qu’elle dit tant aimer, dans un univers refondé sur la démocratie, si possible autour de l’idée du « Front Uni du Peuple » du prêtre Camilo Torres Restrepo.

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